« Ce joli Villeneuve qui n’a rien de pareil sur la terre ! »
Maison d’enfance de la famille Claudel à Villeneuve-sur-Fère © Maison de Camille et Paul Claudel
Camille Claudel naît le 8 décembre 1864, à Fère-en-Tardenois. Son père, Louis-Prosper Claudel, est receveur de l’Enregistrement, tandis que sa mère, Louise-Athanaïse Cerveaux, s’occupe du foyer. La famille s’installe ensuite à Villeneuve-sur-Fère, non loin de Château-Thierry. Camille y passera son enfance, en compagnie de Louise, née en 1866, et Paul, né en 1868, dont elle sera très proche. Les trois enfants resteront profondément attachés à cette maison, lieu de leurs jeux et de leurs escapades.
En 1876, la famille Claudel déménage à nouveau, cette fois à Nogent-sur-Seine. Camille a douze ans, un caractère bien trempé, et montre déjà des prédispositions artistiques. Elle fait la connaissance du sculpteur Alfred Boucher, qui remarque son talent précoce. La jeune fille décide de se rendre à Paris pour devenir artiste. Si son père la soutient, le reste de sa famille condamne fermement son choix. Sa mère, en particulier, montre ouvertement son aversion pour cette vocation artistique.
La rencontre avec Auguste Rodin
Camille Claudel et Jessie Lipscomb dans leur atelier rue Notre-Dame-des-Champs en 1887 © Wikimedia Commons
En 1881, les Claudel s’installent à Paris. Camille y suit des cours d’art à l’académie Colarossi. En 1884, elle intègre l’atelier d’Auguste Rodin, rue de l’Université. Celui-ci, âgé de 44 ans, s’éprend de sa fougueuse élève. Ils vivront une liaison aussi ardente qu’orageuse pendant près de dix ans. Rodin fait d’elle sa collaboratrice, sa maîtresse, sa muse et son modèle. De son côté, Camille expose ses travaux dans plusieurs salons. Le critique Octave Mirbeau déclarera : « Rodin est plus scandaleux, mais Camille Claudel est plus révolutionnaire. » Toujours, même dans les éloges, elle se retrouve comparée à son mentor. Camille refuse d’être constamment ramenée à lui : elle veut exister par elle-même. De son côté, Rodin ne veut pas quitter sa compagne, Rose Beuret, qu’il finira par épouser. En mai 1894, ils se séparent, et la jeune femme s’enferme dans la solitude.
De marbre, de bronze et d’onyx
L’implorante – d’après Camille Claudel, vers 1984. Bronze. Copie moderne d’un modèle effectué en 1887, d’origine privée. Don Indivision Paul Claudel. Collection Association Camille et Paul Claudel. © Maison de Camille et Paul Claudel
L’œuvre laissée par Camille Claudel se nourrit d’influences variées. Ses travaux de jeunesse rappellent la démarche naturaliste adoptée par Alfred Boucher. Avec La Vieille Hélène (1881-1882), elle interroge la représentation de la vieillesse. Cette thématique se retrouvera par la suite dans d’autres sculptures de la jeune femme. L’Âge mûr (1899), par exemple, met en scène la douleur de la jeunesse abandonnée face à l’homme vieillissant, écho de sa rupture avec Rodin.
L’influence de ce dernier se fait forcément présente. Camille Claudel s’imprègne de son style au gré de leurs collaborations. Entre expressionnisme et réalisme, les formes qu’elle travaille jouent avec la lumière et la matière. Les sujets expriment une sensualité qui confine à l’érotisme, comme le couple enlacé de Sakountala (1886).
La Valse – Camille Claudel, vers 1889-1905. Bronze. © musée Camille Claudel, photo Marco Illuminati
Peu à peu, la sculptrice passe de l’émotion des corps nus à un travail d’expression plus fin où s’épanouit son génie. Dans les courbes de ses drapés, se cachent des emprunts à L’Art nouveau, à l’image de La Valse (1889-1905). En 1889, elle découvre l’art d’Extrême-Orient à l’occasion de l’Exposition universelle. Le japonais Hokusaï et sa Grande Vague de Kanagawa lui inspireront La Vague (1897-1903). Elle se tourne également vers une approche plus intime des attitudes, comme en témoignent Jeanne enfant (1893) et Paul Claudel à 37 ans (1905).
Les ténèbres de l’enfermement
Portrait de Camille Claudel, par César, vers 1884. Épreuve sur papier albuminé. L’Art décoratif, n°193, juillet 1913, « Camille Claudel, statuaire », (détail), musée Camille Claudel, Nogent-sur-Seine © César / Musée Camille Claudel / Tribvn.
À partir de 1911, l’état de Camille se dégrade. Elle souffre de délires psychotiques et obsessionnels, persuadée que « la bande à Rodin » veut la faire empoisonner. Dans des accès de rage, elle détruit ses travaux, brûle ses sculptures. Le 2 mars 1913, elle perd son plus précieux soutien avec la mort de son père. Une semaine plus tard, des infirmiers font irruption dans son atelier parisien, quai de Bourbon. Sa mère a signé une demande de placement volontaire afin de la faire interner. Elle se barricade, les hommes sont obligés d’entrer par une fenêtre. Ils se saisissent d’elle et l’emmènent de force à l’asile de Ville-Evrard. Camille ne sera plus jamais libre.
En septembre 1914, elle est transférée à l’asile de Montdevergues, dans le Vaucluse. Sa mère, dans une lettre adressée au médecin, déclare : « Je suis très contente de savoir où elle est, au moins, elle ne peut nuire à personne. » Elle ne rendra jamais visite à sa fille. Seul Paul Claudel viendra voir cette sœur sulfureuse, mais seulement douze fois en trente ans. Camille y est profondément malheureuse, privée de visite, de lettres et de sculpture. Elle suppliera son frère et sa mère de l’autoriser à rentrer : « Tu es bien dure de me refuser un asile à Villeneuve. Je ne ferais pas de scandale comme tu le crois. Je serais trop heureuse de reprendre la vie ordinaire pour faire quoi que ce soit. Je n’oserais plus bouger, tellement j’ai souffert ».
Controverses autour de son internement
Durant sa liaison avec le sculpteur, Camille est tombée plusieurs fois enceinte. En 1892, elle doit avorter. Ce drame, scandaleux à l’époque, lui valut insultes et rejet. Bien plus tard, en 1939, son frère écrira dans une lettre au sujet de ce « crime » que sa sœur « l’expie depuis vingt-six ans dans une maison de fous. » Profondément croyant, Paul Claudel pensait Camille possédée et demanda en 1913 à un prêtre s’il était possible de l’exorciser à distance.
En septembre 1913, un article publié dans L’Avenir de l’Aisne qualifie l’internement de Camille Claudel d’abusif. Les admirateurs de la jeune femme lancent alors une campagne de presse afin de la faire libérer. Sans résultat. Rodin essaiera également d’aider la jeune femme, sans plus de succès.
Trente ans d’internement dans des conditions misérables auront eu raison d’elle. Camille Claudel meurt d’épuisement et de malnutrition le 19 octobre 1943. Prévenue, sa famille n’effectua aucune démarche pour sa dépouille. Son corps est donc jeté dans la fosse commune du cimetière de Montfavet. Ce n’est que huit années plus tard que son frère acceptera de faire exposer les sculptures de sa sœur au musée Rodin. Il dira finalement d’elle : « Camille était le grand homme de la famille ». En 1962, son neveu, Pierre Claudel, écrit au maire de Montfavet afin de faire construire : « une sépulture plus digne de la grande artiste qu’elle a été. » Malheureusement, le terrain a déjà été récupéré pour les besoins du service. Camille Claudel n’aura jamais de tombe. En 2008, un cénotaphe (monument funéraire ne contenant pas de corps) est érigé à sa mémoire au cimetière du village par son arrière-petite-nièce, Reine-Marie Paris.
Sans sépulture, abandonnée par sa famille, Camille Claudel aurait pu disparaître des mémoires. Elle est aujourd’hui bien présente, dans les musées, au cinéma, en littérature. De l’Aisne à Paris, des plaques commémorent les lieux où elle a vécu. Enfin reconnue pour elle-même, Camille Claudel est une immense artiste dont la sensibilité imprègne toujours sa chère maison de Villeneuve-sur-Fère.
Nous remercions la Maison de Camille et Paul Claudel à Villeneuve-sur-Fère, propriété de la Communauté d’Agglomération de la Région de Château-Thierry, ainsi que le Musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine pour leurs précieux renseignements.