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Albert-Ernest Carrier-Belleuse, sculpteur du Second Empire

Article publié dans Axone n°10 – décembre 2021
Saviez-vous que l’un des sculpteurs les plus prolifiques du XIXe siècle était né dans l’Aisne ? Sous le règne de Napoléon III, Albert-Ernest Carrier-Belleuse a réalisé une œuvre abondante et diversifiée, qui a marqué l’évolution des Arts décoratifs. Découvrez le portrait de ce natif d’Anizy-le-Château, dont les sculptures ornent même l’Opéra Garnier…

Des débuts prometteurs

Le sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse, photographié par l'Atelier Nadar
Le sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse, photographié par l’Atelier Nadar

Albert-Ernest Carrier de Belleuse naît le 12 juin 1824 à Anizy-le-Château. Il grandit entouré de son père, Louis-Joseph-François Carrier de Belleuse, un notaire, de sa mère, Louise Eudeline, et de sa petite sœur, Octavie. La famille loge dans une grande maison, située au n° 2 de la rue de l’Hôtel-Dieu, devenue depuis la rue Carrier-Belleuse.

À l’âge de 13 ans, il devient l’apprenti du ciseleur Bauchery. Peu de temps après, il entre dans l’atelier de l’orfèvre Jacques-Henri Fauconnier. François Arago, un cousin éloigné et futur ministre de la Guerre et de la Marine, le prend sous sa protection. Grâce à lui, le jeune homme fait la rencontre de David d’Angers, un sculpteur dont il devient l’élève. Il entre à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1840, avant de se tourner vers l’École Royale Gratuite de Dessin, la future École des Arts Décoratifs. Là, il se lie d’amitié avec un certain Charles Garnier.

Les grandes maisons de bronze parisiennes ne tardent pas à remarquer l’habileté du jeune Axonais, qui se fait maintenant appeler Carrier-Belleuse. Celui-ci reçoit ses premières commandes pour des pendules et des ornements de cheminée. En 1848, il réalise une statue de Mademoiselle Rachel, une actrice célèbre, en train de chanter La Marseillaise. C’est sa première commande publique !

En 1851, il part s’installer à Stoke-on-Trent, en Angleterre. Il y dirige l’école de modelage et de dessin de la maison Mintons, une manufacture de porcelaine. La même année, il épouse Anne-Louise Adnot, une aquarelliste qu’il fréquente depuis longtemps. Ensemble, ils auront huit enfants. Si Louis-Robert deviendra sculpteur comme son père, d’autres se tourneront vers la peinture, comme Henriette et Pierre, ou la musique, comme Octavie.

Carrier-Belleuse en 3 œuvres

La Vestale voilée

Le sculpteur réalise ce modèle de buste en 1859, peu de temps après son retour en France. Puisant son inspiration dans l’Antiquité romaine, il représente une vestale, une prêtresse symbolisant la chasteté. Le sculpteur utilise ici de la terre cuite, une technique dans laquelle il excelle. La tête de la jeune femme est surmontée de fleurs, tandis que le haut de son corps et son visage sont recouverts d’un voile. Sa position, la tête légèrement tournée vers le côté, met en valeur la finesse du drapé. Chef-d’œuvre de maîtrise et de délicatesse, La Vestale voilée est exposée au musée de Laon.

Torchères du Grand Escalier de l’Opéra de Paris

Lorsque l’architecte Charles Garnier débute les travaux de l’Opéra de Paris, il sollicite Carrier-Belleuse pour réaliser les sculptures décoratives. Celui-ci réalise alors deux groupes monumentaux en bronze, La Torchère au tambourin et La Torchère à la couronne (1873). Pour chacun, il associe plusieurs personnages féminins portant gracieusement des luminaires. Jouant sur les postures et la structure verticale, le sculpteur donne une nouvelle dimension à l’éclairage, l’intégrant dans l’architecture globale. Si vous passez par Paris, ces Torchères sont toujours à l’Opéra Garnier, flanquant l’escalier du hall principal.

Statue d’Alexandre Dumas (père)

En 1885, Carrier-Belleuse reçoit la commande d’un monument dédié Alexandre Dumas pour la ville de Villers-Cotterêts. Il le représente debout, vêtu d’un long manteau. De sa main droite, il tient une plume à la main, tandis que la gauche s’appuie sur une stèle où se trouve un livre. Cette statue sera fondue durant la Seconde Guerre mondiale – seule la plume subsiste, conservée aujourd’hui au musée Alexandre Dumas. Une maquette en terre cuite se trouve au musée Carnavalet (Paris) et a permis la refonte d’une nouvelle statue, réalisée par le sculpteur Jean-Loup Bouvier et inaugurée en 2005.

Carrier-Belleuse, « La Machine à sculpter »

Carrier-Belleuse et les siens reviennent en France vers 1855. La famille s’installe à Paris, au 15, rue de la Tour d’Auvergne. À partir de 1857, il expose régulièrement au Salon et sa notoriété grandit. Il réalise de grands marbres à la sensualité exacerbée, comme La Bacchante (1862), qui sera achetée par Napoléon III. Influencé par la Renaissance italienne et l’art du xviiie siècle, il sculpte de nombreux bustes en terre cuite, salués pour leur expressivité. Il s’aventure du côté de la mythologie, mais aussi de l’Histoire, avec des représentations de Marie Stuart ou de Mozart. Surtout, il attire les personnalités les plus en vue de son époque : l’homme politique Adolphe Thiers, l’écrivain Théophile Gautier, la comédienne Réjane, etc.

Émile Anglade dira d’ailleurs que : « toute la haute société artistique, littéraire, politique et mondaine du Second Empire et de la iiie République est venue poser dans l’atelier de la Rue de la Tour d’Auvergne ». Quant à Édouard Lockroy, il surnommera Carrier-Belleuse « La Machine à sculpter » !

Les élèves de Carrier-Belleuse

En parallèle, l’artiste ouvre son atelier à de jeunes talents. Il va ainsi former Alexandre Falguière, Jules Dalou et Joseph Chéret, qui deviendra son assistant, puis son gendre. Cependant, le plus célèbre des élèves de Carrier-Belleuse reste le grand Auguste Rodin. Ce dernier entre à l’atelier de la Tour d’Auvergne en 1864 et devient l’un des plus proches collaborateurs du maître. Ensemble, ils travaillent sur Le Piédestal des Titans, ou le chantier de la Bourse de Bruxelles (1871).

Carrier-Belleuse contribue à la décoration de nombreux bâtiments publics, en particulier lors des grands travaux parisiens menés par le baron Haussmann. On lui doit, par exemple, le fronton de l’entrée de la Banque de France et les cariatides du Théâtre de la Renaissance. En 1873, il retrouve son ami Charles Garnier, qui dirige le chantier du nouvel opéra de Paris. Le sculpteur imagine pour lui les deux torchères de bronze monumentales qui encadrent le Grand Escalier, et les cariatides de la cheminée du Grand Foyer. « Pacotilleur de génie », d’après les frères Goncourt, il s’impose comme l’artiste incontournable du Second Empire  !

Un nouveau souffle à la Manufacture de Sèvres

En 1875, Albert-Ernest Carrier-Belleuse devient le nouveau directeur des travaux d’art de la Manufacture de Sèvres. Créée sous le règne de Louis XV, cette véritable institution s’est imposée comme une référence en matière d’Arts décoratifs. Au moment où le sculpteur prend ses nouvelles fonctions, la Manufacture vient justement de mettre au point une « pâte nouvelle », qui se rapproche davantage de la porcelaine chinoise.

L’Axonais va renouveler les collections, en imaginant des formes de vases inédites, comme le Saïgon, le Fizen, ou le Mycènes. Ses trouvailles rencontreront un grand succès lors de l’exposition de l’Union centrale des arts décoratifs, en 1884.

Le 3 juin 1887, alors qu’il se trouve à la Manufacture, Carrier-Belleuse meurt à l’âge de 62 ans. Il est inhumé quelques jours plus tard au cimetière de Saint-Germain-en-Laye.

Immense sculpteur, Carrier-Belleuse a marqué son époque et a insufflé un tournant majeur pour les Arts décoratifs en France. Toujours présent dans son village natal, il a donné son nom à une rue et une école primaire.

 

Un grand merci à David Nascimento et l’équipe de l’office de tourisme Cœur de Picard, ainsi qu’à Florence Fontaine, bénévole à la médiathèque d’Anizy-le Grand, pour leur aide précieuse lors de la rédaction de cet article. 

Retrouvez cet article dans Axone n°10 – décembre 2021
Photo de l’article : ©Atelier Nadar

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