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Jean de La Fontaine : l’Ingénieur et le Fabuliste

Article publié dans Axone n°8 – juin 2021
Maître Corbeau, sur son arbre perché, pouvait-il imaginer la gloire qui attendait son auteur ? Quatre siècles après sa naissance, Jean de La Fontaine reste le plus grand poète du XVIIe siècle. S’il est connu pour ses Fables, il est également l’auteur d’une oeuvre diversifiée et abondante, marquée par son attachement à Château-Thierry et son travail dans la forêt de Retz. Partez sur les traces du plus célèbre des Axonais !

Les premières années (1621-1658)

Né à Château-Thierry, Jean de La Fontaine est baptisé en l’église Saint-Crépin le 8 juillet 1621. Sa famille est issue de la bourgeoisie provinciale. Son père, Charles, est capitaine des chasses et maître des Eaux et Forêts de Château-Thierry. Sa mère, Françoise Pidoux, est fille de marchand et veuve d’un premier mariage. Jean grandit avec sa demi-soeur, Anne, et son frère cadet, Claude.

Après des études au collège de Château-Thierry, le jeune homme entame un noviciat à l’Oratoire de Paris. Dix-huit mois plus tard, il abandonne l’idée d’une vie religieuse et revient dans sa ville natale. Il retourne dans la capitale en 1645, cette fois pour y apprendre le droit.

Le futur poète s’intéresse déjà à la littérature. Avec des amis, comme François de Maucroix et Antoine Furetière, il forme les paladins de la Table Ronde. Ensemble, ils fréquentent les salons et les réunions littéraires, discutent avec des académiciens et vont applaudir Molière. Passionné par le théâtre, La Fontaine publie une pièce en 1654. Son Eunuque est adapté de l’oeuvre en latin du poète Térence. Malheureusement, il ne rencontre pas le succès escompté. Si les représentations en province se passent plutôt bien, le public parisien le dédaigne.

Entre-temps, en 1647, il épouse Marie Héricart, une jeune fille originaire de La Ferté-Milon. Ce mariage arrangé se fait sans amour. Le couple aura un seul enfant, Charles, né le 30 octobre 1653. Devenue femme du monde, Marie Héricart tient un salon à Château-Thierry, où elle invite les grands esprits de la ville. S’éloignant l’un de l’autre au fil du temps, les deux époux finiront par demander une séparation de biens en 1658.

Maître des Eaux et Forêts de Château-Thierry (1652-1671)

Plan figuratif du bois des Manoises à Athies-sous-Laon, © Arch. dép. Aisne, G 150

Hésitant sur son avenir, Jean de La Fontaine finit par acheter la charge de maître particulier triennal de Château-Thierry. Il rejoint donc l’administration des Eaux et Forêts, marchant sur les traces de son père. À la mort de celui-ci, en 1656, il reçoit en héritage la charge de maître particulier des Eaux et Forêts. Également capitaine des chasses, il exercera simultanément ces trois postes jusqu’en 1671.

La gestion des forêts du royaume est alors en plein bouleversement. Pour remédier aux ravages laissés par la guerre de Trente Ans, Louis XIV a lancé une grande réforme en 1661. Celle-ci débouche, en 1669, sur L’Ordonnance sur le fait des Eaux et Forêts. Rédigée sous la direction de Colbert, elle prévoit la redéfinition des missions des agents forestiers et des mesures pour assurer la pérennité des arbres. Si ces directives auront un impact considérable dans la préservation des massifs, elles vont également servir à produire le bois nécessaire à la construction d’une nouvelle flotte royale.

En tant que maître particulier, La Fontaine est chargé d’inspecter les bois et les rivières sur un territoire vaste, allant des limites d’Épernay au sud de l’actuel département de l’Aisne. Tous les six mois, il rédige un compte-rendu de ses visites. Il gère également les opérations de vente et d’expertise du bois, et l’entretien du réseau hydraulique. Enfin, il juge les petits délits forestiers, comme le vol de bois.

Pendant vingt ans, il parcourt la campagne axonaise pour assurer ses missions. À la fois ingénieur agronome et ingénieur en génie rural, il accumule une somme importante de connaissances sur la faune et la flore locales, la sylviculture et les travaux fluviaux. Cette observation de la vie rurale va profondément nourrir ses écrits. En 1671, il cesse son activité au sein des Eaux et Forêts : le moment est venu pour lui de se consacrer entièrement à la littérature.

Romancier, dramaturge et poète (1664-1687)

Médaillons avec fables © Shutterstock

Bourgeois de province et propriétaire terrien, Jean de La Fontaine poursuit une carrière littéraire en parallèle de sa vie dans l’Aisne. En 1658, Nicolas Fouquet, le surintendant des Finances, lui accorde sa protection. L’écrivain lui adresse deux poèmes, Adonis (1658) et Le Songe de Vaux (1659). Cependant, en 1661, le ministre est arrêté sur ordre du Roi. Il finira ses jours emprisonné à la forteresse de Pignerol. Resté fidèle à son mécène, La Fontaine est en disgrâce et doit s’exiler pour un temps à Limoges.

Quatre ans plus tard, il publie une sélection de récits érotiques et libertins. Ces Contes et Nouvelles lui apportent le succès et lui donnent une réputation d’excellent conteur. À noter que la ville de Château-Thierry y sert parfois de décor ! Poursuivant dans cette veine, il rédige un second ouvrage qui paraît dès l’année suivante. Au même moment, il devient gentilhomme de la duchesse douairière d’Orléans. Il le restera jusqu’à la mort de celle-ci, en 1672, tout en se tenant à l’écart de la cour.

Les premières Fables choisies mises en vers paraissent en 1668. Pour les rédiger, le poète s’inspire des poètes antiques, comme Ésope. Ses textes mettent en scène des animaux anthropomorphes et illustrent une morale. Il les dédie au fils de Louis XIV, le dauphin Louis de France, sans doute dans le but d’apaiser le monarque, qui lui tient toujours rigueur de sa loyauté envers Fouquet. Les Fables remportent un succès immédiat et seront réimprimées quarante fois au cours des années suivantes ! Un deuxième recueil voit le jour en 1678, puis un troisième en 1693-1694.

En 1669, Jean de La Fontaine fait paraître un roman en prose, Les Amours de Psyché et Cupidon. Il le dédicace à Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon, l’une de ses protectrices. Il en profite pour célébrer les aménagements faits à Versailles par le Roi, espérant ainsi gagner ses faveurs.

À partir de 1673, Jean de La Fontaine est hébergé par Mme de la Sablière, à qui il voue une admiration sans borne. Il fréquente son salon de La Folie-Rambouillet, à Paris, où il croise d’autres plumes incontournables du Grand Siècle, comme Charles Perrault, Mme de Sévigné, ou Nicolas Boileau.

Cette période marque l’apogée de sa carrière. En 1684, il est élu à l’Académie française, après une première tentative en 1683, où il avait vu Boileau remporter le siège.

Deux ans plus tard, Perrault lit son poème Le Siècle de Louis le Grand et déclenche la Querelle des Anciens et des Modernes. Le monde littéraire et artistique se dispute pour désigner qui, de l’Antiquité ou du xviie siècle, a les plus grands mérites. Le fabuliste se range du côté des Anciens, avec Racine et Boileau, et leur dédie son Épître à Huet (1687).

Les dernières années (1687-1695)

Tombe de Jean de La Fontaine (cimetière du Père Lachaise, division 25) © Wikimedia Commons

À la fin de sa vie, La Fontaine est criblé de dettes. Il tente de nouvelles incursions au théâtre et à l’opéra, mais ne remporte pas vraiment de succès. Le poète doit renier ses premiers Contes, dont le contenu érotique choque désormais la société puritaine. Ses dernières œuvres sont des textes de piété, comme des hymnes ou une traduction du Dies irae.

Il meurt le 13 avril 1695, à l’âge de 74 ans, et est inhumé à Paris. En 1817, son corps est transporté au cimetière du Père-Lachaise, avec Molière. Du moins, c’est ce qu’il était convenu ! En effet, une erreur a été commise sur l’emplacement exact de sa tombe. Si une sépulture est bien présente au Père-Lachaise, il est probable que ses ossements se trouvent en réalité quelque part dans les catacombes de Paris. Reste L’Épitaphe au paresseux, que le poète composa pour lui-même :

« Jean s’en alla comme il était venu,
Mangeant son fonds après son revenu ;
Croyant le bien chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser :
Deux parts en fit, dont il voulait passer
L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. »

Le plus célèbre des Castelthéodoriciens

À Château-Thierry, Jean de La Fontaine est absolument incontournable. Chaque année, en juin, un grand festival est organisé pour célébrer l’enfant du pays. Durant trois jours, spectacles, concerts et animations perpétuent son esprit malicieux et subtil. Sur la place qui porte son nom, une statue a été inaugurée en 1824. L’œuvre, réalisée par Charles-Pierre Laitié, a été offerte à la ville par Louis XVIII. Elle représente le poète debout, une plume à la main. À ses pieds, se trouvent un lièvre et une tortue, référence à l’un de ses textes les plus connus.

L’hôtel particulier où il a vu le jour se dresse quelques rues plus loin. En 1676, La Fontaine le vendit à son cousin, Antoine Pintrel. L’argent lui permit de régler des dettes héritées de son père. En 1876, la maison fut transformée en musée. Depuis, elle abrite peintures, sculptures et gravures invitant à se replonger dans la vie de l’écrivain. Une bibliothèque spécialement restaurée propose aux visiteurs d’admirer différentes éditions de ses œuvres. Des expositions temporaires sont également organisées plusieurs fois par an, pour explorer l’univers de La Fontaine sous des angles inédits.

Aux alentours, les curieux peuvent emprunter le Circuit des Fables, qui traverse dix-sept villages. Dans chacun, l’ancien lavoir accueille une œuvre dédiée à une fable en particulier. C’est l’occasion de découvrir certaines œuvres oubliées du fabuliste, grâce au livret d’accompagnement proposé par l’office de tourisme de Condé-en-Brie.

La postérité de Jean de La Fontaine va bien au-delà des frontières de l’Aisne. Ainsi, au château de Versailles, il figure sur Le Parnasse français, réalisé entre 1718 et 1721 par Louis Garnier. Destinée à célébrer le règne du Roi-Soleil, la sculpture représente ce dernier en Apollon. Les Grâces et les Muses qui l’entourent ont les traits des grands esprits de son temps : Molière, Mme de Scudéry, Corneille, Lully… et notre poète axonais ! Aujourd’hui, pas moins de 335 établissements scolaires portent son nom. Quant à ses Fables, elles connaissent toujours de multiples rééditions et adaptations, y compris sur scène.

Retrouvez cet article dans Axone n°8 – juin 2021
Photo de l’article : ©Axone

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